L'isle fut découverte...histoire de L’isle et sa boulangerie
Mais qu’est-ce que l’Île-aux-Coudres?
Nichée au cœur du fleuve Saint-Laurent, en face de Baie-Saint-Paul dans la région de Charlevoix, l’Île-aux-Coudres est un petit trésor insulaire chargé d’histoire, de traditions et de chaleur humaine. C’est en 1535, lors de son deuxième voyage en Nouvelle-France, que Jacques Cartier y accoste pour la première fois. Fasciné par les nombreux coudriers (noisetiers sauvages) qu’il y trouve, il baptise ce lieu l’Isle aux Coudres. Ce nom poétique a traversé les siècles, tout comme l’âme fière et accueillante de ses habitants.
Depuis ce temps, l’île a su préserver son caractère unique : des paysages grandioses entre fleuve et montagnes, un rythme de vie apaisant, une communauté tissée serrée. On y vient pour respirer, goûter, prendre le temps… et s’en souvenir longtemps.
Mais un village sans boulangerie, c’est un peu comme une maison sans feu de foyer : il manque l’odeur du pain chaud, le partage, le cœur.
Heureusement, à l’Île-aux-Coudres, la Boulangerie Bouchard veille sur cette tradition depuis maintenant 80 ans. Fondée en 1945, elle est bien plus qu’un simple commerce : elle est le lieu de rassemblement, de rencontres, de souvenirs. Car lorsqu’on se retrouve en famille ou entre amis, qu’est-ce qu’on partage d’abord? Une miche de pain encore tiède, un pâté croche, une brioche du matin, un peu d’histoire et beaucoup d’amour.
La Boulangerie Bouchard, c’est l’âme gourmande de l’île. Un symbole vivant de ce que signifie vivre ensemble, s’ancrer dans un terroir et garder bien chaud ce qui nourrit autant le corps que le cœur.
Un peu d’histoire… et beaucoup de passion
La Boulangerie Bouchard, c’est une affaire de famille, de courage et de passion. Fondée en 1945 par M. Pascal Bouchard et sa femme Mme Noëlla Tremblay, elle voit le jour dans une petite bâtisse au cœur de l’Île-aux-Coudres. Ensemble, ils y travaillent d’arrache-pied, pétrissant à la main chaque pain, livrant les fournées à travers les rangs, forgeant la réputation de la maison à coups de sueur, de levain et de fierté.
Après le décès de M. Bouchard, c’est leur fils Léonard Bouchard, affectueusement surnommé Bobby, qui reprend le flambeau, accompagné de sa conjointe Alfredine Dufour. Pendant plusieurs décennies, le couple contribue à faire de la boulangerie une institution régionale, tout en maintenant l’essence même du métier de boulanger : le respect des traditions et des gens.
En 2007, un nouveau chapitre s’ouvre avec l’arrivée de Mme Noëlle-Ange Harvey, qui achète l’entreprise. Visionnaire et passionnée, elle modernise certains aspects de la production, bonifie l’offre, tout en conservant l’âme artisanale et familiale de la boulangerie. Son mari, M. Gaétan Tremblay, la seconde au quotidien, notamment pour les livraisons, l’entretien et les innombrables petites tâches qui assurent la vie d’une boulangerie.
Et depuis le 1er mai 2025, c’est Francis Boudreault, un insulaire pur laine, très actif dans sa communauté, qui est maintenant à la tête de la Boulangerie Bouchard. Enraciné dans l’île, amoureux de son histoire et de ses traditions, Francis s’engage à faire vivre cette institution avec fierté, passion et créativité, tout en poursuivant la mission de toujours : nourrir le monde avec des produits faits avec cœur.
Mais qu’est-ce que le fameux pâté croche?
Quand on parle de L’Isle-aux-Coudres, impossible de passer à côté du célèbre pâté croche. C’est presque un mot de passe, un symbole, une fierté insulaire. Et comme toute bonne légende culinaire, il existe plusieurs versions de ses origines. Est-il né à La Baleine, à Saint-Louis, dans l’Anse, dans les fonds, dans la passe, ou encore sur le Cap ou à Saint-Bernard? Certains s’en revendiquent la gloire… mais au fond, peu importe. L’important, c’est que la tradition vive.
L’histoire la plus souvent racontée (et la plus savoureuse) nous ramène à l’époque des canotiers à glace, ces hommes courageux qui traversaient le fleuve gelé pour rejoindre la terre ferme. Avant de partir, leurs épouses leur préparaient des repas à emporter. Mais un pâté à la viande rond, dans un canot, ça ne tenait pas : ça tombait, ça s’égrenait, ça se perdait dans la neige ou dans l’eau.
Un bon jour, une femme eut une idée de génie : façonner le pâté en forme de chausson, pratique à tenir d’une seule main, compact, nourrissant, et surtout… qui ne tombait pas. C’est ainsi qu’est né le pâté croche, à la fois humble et ingénieux, enraciné dans le quotidien des insulaires.
Aujourd’hui, il se décline en mille façons :
Viande crue ou cuite,
Avec ou sans pommes de terre,
Porc, veau, agneau,
Et même en version végé.
Mais la base, celle du vieux temps, reste la plus aimée : un bon mélange de porc haché, d’oignon, de sel et de poivre, simplement.
Quand on met les pieds sur l’île, on mange un pâté croche. C’est un incontournable, une tradition, une bouchée d’histoire. Et bien entendu, à la Boulangerie Bouchard, c’est avec fierté qu’on perpétue ce savoir-faire, tous les jours, avec cœur, à la main, comme avant.
Les récits de Jacques Cartier
« Le sixième jour dudit mois, avec bon vent, nous nous dirigeâmes environ quinze lieues en amont du fleuve, et allâmes dans une île, qui est près de la terre du nord, et qui fait une petite baie et anse de terre, dans laquelle il y a un nombre inestimable de grandes tortues, qui sont aux environs de cette île. Pareillement, par ceux du pays se fait aux environs de ladite île grande pêche desdits adhothuys (béluga) ci-dessus décrits.
Il y a aussi grand courant autour de ladite île, que devant Bordeaux au flux et au reflux. Cette île mesure environ trois lieues de long et deux de large, et c’est une terre fort bonne et grasse, pleine de beaux et grands arbres de plusieurs sortes. Et entre autres, il y a plusieurs coudres sauvages, que nous trouvâmes tout chargés de noisettes, aussi grosses et de meilleures saveurs que les nôtres, mais un peu plus dure; et pour cela, nous la nommâmes l’île aux Coudres. » (Jacques Cartier, 6 septembre 1535)
C’est en ces termes que, lors de son deuxième voyage au Canada, Cartier relate la découverte de cette île située près de la côte de Charlevoix. Il y fait célébrer la première messe en terre canadienne et en profite pour faire reposer l’équipage quelques heures avant de poursuivre plus en amont du fleuve vers ce qui deviendra un jour la ville de Québec. De par sa géographie, l’île deviendra un lieu idéal pour un arrêt des navires en provenance de France.
« Au centre-nord de l’île, le mouillage est large et profond; il offre une excellente protection contre le vent dominant, le vent d’ouest, et contre le vent d’est, porteur des tempêtes de l’Atlantique. Les battures ne représentent pas d’obstacles et la marée est d’une assez grande ampleur : on peut donc mettre les bateaux à sec pour effectuer, à l’étal, quelques réparations mineures. » (Croteau, p. 97)
En mai 1536, Cartier y revient et note la présence de nombreuses tortues ainsi qu’un grand nombre de cétacés blancs, le béluga, qu’il voit pour la première fois. « Vous trouverez jusqu’au dit Canada force baleines, marsouins, chevaux de mer, adhothuys (béluga) qui est une sorte de poisson, que nous n’avions jamais vu ni ouï parler.
Ils sont blancs comme neige, et grands comme des marsouins, et ont le corps et la tête comme des lévriers; ils se tiennent entre la mer et l’eau douce, qui commence entre la rivière du Saguenay et le Canada. » (Cartier, p. 223)
Les débuts de l’occupation
Avec la fondation de l’Habitation de Québec par Samuel de Champlain en 1608, l’île reprend du service comme halte, mais ne sera pas occupée par des colons avant la création de la colonie royale par Louis XIV.
En 1677, le gouverneur Frontenac concède l’île à Étienne Lessard qui, après quelques années de durs labeurs sans véritable amélioration de son sort, la revendra aux messieurs du Séminaire des Missions étrangères de Québec. La colonisation ne commencera véritablement qu’en 1728 et progressera très lentement puisqu’au lendemain de la Conquête à peine 213 personnes y vivent. C’est vers la fin du 19e siècle que le peuplement atteint son apogée avec plus de 600 habitants.
La vie des insulaires s’écoule lentement au rythme des saisons avec un souci constant d’autosuffisance.
L’Isle-aux-Coudres
Image J.B. Plamondon. BAnQ. Extrait du : Plan de la seigneurie de Beaupré, depuis le Sault Montmorency jusqu’à la rivière du Gouffre - 2e feuillet - 15 arpents : 1 po. - 1751 - 1 plan(s) : manuscrit en noir et blanc; 63 x 125 cm.
« Chaque famille possède sa maison et son cheval. On élève assez de moutons pour fournir la laine; on cultive assez de lin pour tisser les vêtements; on récolte assez de fourrage pour faire vivre un petit troupeau. » (p. 103)
En 1763, on y érige sur la rive ouest un premier moulin à vent essentiel pour moudre les grains, puis un second sur la rive sud dix ans plus tard. La pêche dans le fleuve offre du poisson en bonne quantité (harengs, capelans, éperlans et anguille) et la chasse aux loups-marins donne en plus de la viande une huile très utile. Le varech, algue marine qui se dépose sur les rives, sert à nourrir le bétail et est utilisé comme engrais.
La pêche aux marsouins
La pêche aux bélugas (animal proche du dauphin qui vit en Atlantique), aussi appelés marsouins jusque dans les années 1950, était une activité que les insulaires ont pratiqué dès les premières années de la concession. À l’époque de la colonisation, il y avait plusieurs installations de pêche aux marsouins autour de l’île, délimitées par le propriétaire de la seigneurie, le Séminaire de Québec, qui prélevait le tiers de l’huile produite dans les fonderies.
« Les bonnes années, on harponne quelque trois cent vingt bélugas en une seule marée, ce qui rapporte des milliers de louis à l’économie de l’île » (Croteau, p. 113). C’est généralement en avril que se pratiquait cette pêche, ou plus justement chasse, puisque l’animal est harponné après avoir été pris à marée basse dans une sorte d’entonnoir préparé à l’aide de perches plantées sur les battures.
À la fin du 19e siècle, cette chasse va rapidement péricliter, car «… depuis la substitution de l’huile minérale à l’huile de marsouin comme lubrifiant pour les locomotives et autres engins à vapeur, le prix de l’huile de marsouin est tellement tombé, que les associés de la pêche ont perdu l’intérêt qu’ils prenaient dans cette industrie » (Croteau, p. 113).
À la fin des années 1920, la pêche cessera et, devant le déclin rapide de l’espèce qui passe d’environ 15 000 bélugas, à la fin du 19e siècle, à seulement 350 en 1969, elle sera interdite définitivement dans les années 1990.
Image du documentaire Pour la suite du monde de Pierre Perreault et Michel Brault
En 1963, cette pêche aux marsouins a été immortalisée dans un documentaire mémorable de Pierre Perrault et Michel Brault produit par l’ONF et intitulé Pour la suite du monde. Les habitants de L’Isle-aux-Coudres ont, pour l’occasion, repris cette chasse telle qu’elle se pratiquait jusqu’au début du 20e siècle. Le film est considéré comme une œuvre pionnière du cinéma direct.
Les voitures d’eau
Au 19e siècle, le fleuve constitue la principale voie de communication entre les villages sur les deux rives du Saint-Laurent. Cette réalité géographique entraine le développement de la construction navale dans les grandes villes comme Montréal et Québec, mais aussi dans des régions éloignées comme Gaspé ou L’Isle-aux-Coudres.
Goélette G. Montcalm, construite à Saint-Joseph-de-la-Rive en 1939
Si les chantiers navals de Sorel ou Québec construisent des navires de grandes dimensions en acier, la plupart des chantiers échelonnés sur le littoral du Saint-Laurent, comme celui de L’Isle-aux-Coudres, sont de modestes dimensions et produisent des bateaux en bois nécessaires à la navigation locale, dont le cabotage.
Les marées que connaît le fleuve auront une incidence sur la morphologie des bateaux à construire dans les petits chantiers. Ainsi, dans le Bas-du-Fleuve, la quille que l’on trouve sur la goélette hauturière sera sacrifiée pour permettre aux goélettes à fond plat un échouage en l’absence de quai.
Généralement dotées de deux mats, et par la suite de moteur, ces « voitures d’eau », comme on les appelait à l’époque, seront essentielles pour ravitailler les villages côtiers et les insulaires. L’hiver était la saison idéale pour la construction, le radoub (réparation) et le carénage (nettoyage et réparation de la partie immergée de la coque) des bateaux. Entre 1860 et 1959, année de la dernière production de goélettes, 47 goélettes seront construites au chantier de L’Isle-aux-Coudres.
Les moulins
Au début du 19e siècle, les deux petits moulins à vent peu efficaces, qui avaient été construits au siècle dernier, ne répondent plus aux besoins des habitants de l’île. Ces derniers obtiennent alors l’autorisation du Séminaire de Québec pour ériger un moulin à eau sur la rivière Rouge. Cependant, le faible débit en période hors des crues ne donne pas les rendements escomptés.
Dernier moulin à vent de l’île aux Coudres
Photo : Lucie Laguë, 2019
Qu’à cela ne tienne, pour contrer les faibles rendements du moulin à eau, les habitants vont proposer la construction d’un moulin à vent d’envergure (en page couverture et photo ci-contre) avec une tour qui permet d’orienter les ailes face au vent. Ainsi en 1830, le moulin à eau et le moulin à vent logent à la même adresse.
Restaurées il y a quelques années, vous pouvez visiter ces installations uniques qui font partie du réseau des Écomusées lors d’une visite à l’île. Vous aurez l’occasion de voir, comme autrefois, le meunier moudre le grain et assister à une démonstration de mouture de blé, de sarrasin ou de seigle.
L’histoire de l’île aux Coudres, à l’instar d’autres îles du Saint-Laurent, témoigne d’un riche héritage de la vie des insulaires souvent peu abordé dans nos livres d’histoire et qui gagnerait à être étudié.
Raymond Bédard est un enseignant d’histoire au 4e secondaire.
Cet article est paru à l’origine dans la revue Traces, volume 58, numéro 3, été 2020, pages 9 à 12. La revue est publiée par la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).
La SPHQLe lien s'ouvre dans un nouvel onglet a pour mission de promouvoir l’enseignement de l’histoire au Québec sous tous ses aspects, auprès de ses membres et de la population en général et de contribuer à assurer la transmission de l’information et le développement des professionnels de l’enseignement.
Sources
Jacques Cartier, Voyages au Canada, édition François Maspero, La Découverte, Paris, 1981, p. 177-178
André Croteau, Les îles du Saint-Laurent, éditions du Trécarré, Saint-Laurent, 1995.
Christian Harvey, Pour la suite du monde. La chasse aux marsouins dans Charlevoix, INRS, encyclopbec.ca (consulté en avril 2020)
Jean Provencher, Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, Boréal, Montréal, 1988.